Madame, Monsieur, Chers Ripagériens, chères Ripagériennes.
Au même endroit, ici, dans cette rue Guillaume Roquille,
80 ans après, quatre-vingt ans après…
Voici les représentants de l’ Amicale des Anciens et Amis de la résistance et du monde combattant,
voici leurs porte-drapeaux,
voici les élus municipaux de Rive-de-Gier et les maires du canton,
voici les représentants des Corps constitués et des responsables d’associations,
voici des habitants,
voici M le Député,
voici M le Secrétaire Général de la Préfecture
réunis pour honorer la mémoire de Christian Prunier.
80 ans après son assassinat, Christian Prunier vit dans nos cœurs et nos esprits. Michelle Destour, historienne, fille de résistant, a eu ce matin et au nom de la Ville je l’en remercie vivement, a eu les mots et l’éloquence pour nous retracer le parcours de Christian Prunier.
Son héritage est immense, lui l’artisan modeste. Jeune père de famille, il vivait de son travail avec tout son amour pour sa femme et sa fille. Il vivait au cœur de la cité, de son métier d’ébéniste. Il œuvrait pour la Cité avec ses convictions syndicales et politiques établies. Il ne ménageait pas dès son jeune âge son engagement pour une société plus juste. Syndiqué à la CGT, militant des jeunesses socialistes et membre actif de la SFIO, lui le natif de La Grand-Croix, a vécu les belles heures du Front populaire, bien présent dans le Rive-de-Gier de Claude Drivon.
Mobilisé et affecté spécial en 1940, il n’accepte pas la capitulation et encore moins le honteux régime de Vichy qui s’installe et dicte ses lois rétrogrades. Ses liens militants, la force de ses convictions le mettent en contact avec le réseau de résistance Buckmaster-Ange, très actif à Rive-de-Gier. Avec le soutien du Service Britannique « Spécial Opérations Executives » le SOE, le réseau Buckmaster Ange agit avec détermination, particulièrement pour saboter l’effort de guerre allemand.
Ce travail est vital pour éviter les bombardements alliés qui portent le risque des pertes civiles conséquentes dans notre vallée du Gier où les usines et les habitations sont entremêlées. La production pour l’armée occupante au sein des Forges et Aciéries de la Marine à Saint-Chamond vient de faire les frais de la détermination des résistants tels que Christian Prunier. Le 25 janvier 1944, ils plastiquent et mettent hors d’usage le laminoir. Et toute une série de sabotages dans la vallée du Gier ou le Rhône proche, met considérablement à mal la présence ennemie.
Mais dans cette période noire, tout le monde n’est pas résistant. Suite à des dénonciations, des responsables du réseau Buckmaster Ange, notamment Jean Gaudard, Pierre Pouget, Germaine Jouve et Francis Pointu ont été arrêtés le 30 septembre 1943. Cela ne refroidit, ni n’entame en rien la détermination de Christian Prunier.
Les opérations de réceptions des parachutages des armes et explosifs s’enchaînent comme autant d’actes concrets pour détruire la machine de guerre allemande. Défaits de manière décisive à Stalingrad puis à Koursk en 1943, les allemands sont sur la défensive et le recul. Leur répression se déchaîne partout sur les Résistants avec une sauvagerie et une haine d’autant plus hideuse qu’ici les occupants font face à une armée des ombres, à des français ordinaires, pères de familles, ouvriers, employés, petits patrons, agriculteurs... que RIEN ne prédestinaient à prendre les armes, la dynamite, la clandestinité.
Devant cette répression implacable, il n’y a plus le choix. D’urgence en cet hiver 44, il faut pour Christian Prunier et ses camarades, se cacher, à Saint-Chamond d’abord, puis plus loin à Vérane là-haut dans le Pilat. Mais ce combat, cet engagement total face à la nuit nazie et collaborationniste, ce combat n’a de sens que pour la beauté de la vie. La vie, l’amour de sa femme et de sa fille, voilà ce à quoi aspire Christian Prunier. La beauté de la vie, de la liberté, il veut les vivre.
Le 17 février, Christian Prunier redescend du Pilat. Au soir, il revient auprès de sa famille, à deux pas d’ici, à leur domicile du 8 rue Waldeck Rousseau. Il y est dénoncé. La police allemande se mobilise immédiatement.
Au petit jour, ils tentent de le cueillir. Christian Prunier s’enfuie, la soldatesque lui tire dessus. Atteint, il est mis à terre, embarqué dans une voiture, sommairement soigné, mais la trace de sa vie s’efface derrière les sinistres hauts murs du fort Montluc, à Lyon où règne alors Klaus Barbie et ses sbires. Ainsi disparait Christian Prunier.
Il venait d’avoir 33 ans.
80 ans plus tard, nous nous souvenons de lui, de sa famille, de ses camarades d’engagement, de la Résistance, de ses réseaux, de leurs chefs et de leurs militants, de la diversité des sensibilités unies dans le Conseil National de la Résistance créé par Jean Moulin sous l’autorité du Général De Gaulle.
80 ans plus tard, la ville de Rive de Gier installe sur l’espace public une stèle à la mémoire de Christian Prunier assassiné par le fascisme. Il est toujours d’actualité de transmettre cette mémoire. Cela est même d’autant plus urgent que les derniers survivants de cette période de l’histoire, peu à peu, nous quittent. La mémoire humaine est fragile. Elle a besoin de ces repères, de cette force intemporelle que peuvent constituer de modestes mais indispensables rappels de notre histoire, tragique et lumineuse.
Comment ne pas évoquer à cet instant l’hommage national que la France prépare cette semaine aux résistants étrangers qui sont morts pour la France, pour sa liberté, pour ses idéaux républicains et universels.
Le Panthéon de notre mémoire nationale va enfin accueillir ce mercredi les dignes représentants des Francs Tireurs et Partisans de la section Main d’Œuvre Immigrée. Missak et Mélinée Manouchian, et ceux de l’Affiche Rouge, aux noms difficiles à prononcer, sont justement reconnus à l’égal de leurs camarades du « terrible cortège » qu’évoquait André Malraux il y a 60 ans.
La mémoire de la Résistance, de toute la résistance, de ses glorieux chefs comme de ses femmes et de ses hommes de base, ne doit pas s’effacer. En raison de leur sacrifice et en raison des idéaux qui les animaient, ceux d’une société plus juste, plus solidaire et ouverte. Alors que les discours nationalistes et xénophobes sont portés aux nues dans certains médias audiovisuels, alors que l’antisémitisme hideux ressurgit et que le poison du racisme se répand dans les urnes par des candidats condamnés pour « incitation à la haine raciale », ne devons-nous pas nous interroger sur les enjeux du temps présent ? En versant leur sang pour la France, les étrangers n’ont-ils pas amplement justifié du principe constitutionnel du droit du sol ? N’ont-ils pas démontré que la France est une Nation politique et non pas un groupe ethnique ?
Ginette Kolinka témoignait il y a peu de jours, en mots simples, auprès des élèves de notre collège François Truffaut sur la colline du Grand Pont, de la réalité de la déportation et de l’extermination de masse.
- « Me trouves-tu normale » a-t-elle demandé aux jeunes ripagériens qui l’écoutaient.
- « Oui madame. »
- « Et bien pour Hitler je ne l’étais pas. J’étais juive, comme toute ma famille. Ma sœur était communiste, nous étions surveillées, nous avons dû fuir, nous cacher, mais nous avons été dénoncés et déportés et mon père et mon frère sont morts. Nous étions des robots, déshumanisés. Nous n’étions rien pour les nazis.
Voilà sur cette photo les boites de Ziklon B qui ont servi à gazer et faire mourir le plus de personnes possibles.
J’étais jeune, j’ai eu de la chance d’être transférée dans un camp de travail, j’en suis revenue.»
C’était il y a 80 ans. C’est si loin. Il reste si peu de témoins de l’ampleur de la solution finale, funeste finalité de l’hitlérisme et du nationalisme allemand du XXe siècle.
En inaugurant en ce 18 février 2024 ici, rue Roquille, cette stèle en la mémoire de Christian Prunier, modeste artisan ripagérien, nous mesurons l’importance décisive de son engagement dans ce Rive-de-Gier des années 40,
nous appréhendons la valeur inestimable de son combat moral et politique, nous ressentons la force irrésistible de son exemple de Résistant à jamais gravé au cœur de notre Cité.
Nous sommes fiers d’être Ripagériens.
Nous nous engageons à construire une société et un monde de paix et de libertés.
Vive la France !
Vive la République !